Tiphaine
Témoignage de Pierre et Tiphaine
Pierre et Tiphaine sont partis, en tant que jeune couple mariés, dix mois servir à l’hôpital de Kabinda en République Démocratique du Congo. Pierre est dentiste.
Pierre dentiste et formateur
Dans le bâtiment des consultations externes de l’hôpital, Pierre consulte les malades et forme un infirmier aux techniques élémentaires de la chirurgie dentaire.
Cet infirmier reçoit 2h de cours théoriques tous les matins, en attendant que le générateur d’électricité soit lancé, puis assiste Pierre dans les soins. Après bientôt deux mois de formation, il maîtrise de mieux en mieux le vocabulaire et apporte une aide précieuse à Pierre, notamment dans le dialogue avec les patients qui ne parlent généralement pas français. Un autre infirmier ayant déjà des bases en dentisterie ne va pas tarder à rentrer de congés et poursuivre sa formation avec Pierre. Ces deux infirmiers devraient reprendre à temps partiel le cabinet après notre départ.
Pour soigner il faut d’abord informer
Après presque 3 semaines d’installation du cabinet dentaire, Pierre s’attendait à recevoir beaucoup de patients. Plusieurs personnes nous avaient effectivement fait part de leur impatience à venir se faire soigner. Néanmoins pendant plus d’un mois, le rythme au cabinet s’est révélé très calme… Pierre a vite compris que la communication avec les habitants de la région est compliquée, et surtout qu’elle prend du temps. Il a donc fait plusieurs interventions à la radio locale pour expliquer son travail, le prix des consultations et ce qu’apportait ce nouveau service de l’hôpital. Une troupe de théâtre est également intervenue à l’HGR de Kabinda un dimanche après-midi, dans le but de sensibiliser les malades à la prise en charge des pathologies bucco-dentaires. Cette troupe de théâtre est habituée à ce genre d’exercice. En effet, tous les 15 jours, ils viennent et sensibilisent les personnes hospitalisées sur différents sujets avec beaucoup d’humour.
Des pathologies inattendues
« Les pathologies observées au cabinet dentaire sont diverses. Je suis étonné de constater que la plupart des patients que je consulte ont les dents très usées. Je me suis interrogé sur les raisons de ces usures, et en ai déduit qu’elles sont certainement liées à un mode d’alimentation très différent de chez nous. Beaucoup d’aliments consommés dans la région sont effectivement très acides : citrons verts, feuilles de manioc et feuilles de patates douces… et ronger voire croquer les os de poulet est ici pratique courante. Les caries et le tartre sont courants, mais malgré une hygiène bucco-dentaire visiblement assez peu développée, je dois admettre que l’état des dents est moins catastrophique que ce que j’imaginais. Cela est très certainement dû au fait que les patients qui viennent me voir font partie d’une classe aisée.
Certains malades me sont aussi adressés par le service des urgences. Lorsque c’est le cas, l’état bucco-dentaire est souvent bien plus délabré. Bien souvent, avant de venir à l’hôpital, le patient passe chez le « tradi-pratitien » pour soulager sa douleur. Les remèdes employés sont souvent source de complication. » (Pierre)
Tiphaine au service des plus pauvres
Une salle de jeux existe pour les enfants de l’hôpital. On y trouve quelques jeux de société, puzzle, peluches et carnets de coloriage avec des crayons (tous plutôt en mauvais état…). Malheureusement nous avons constaté que les enfants n’allaient jamais dans cet endroit, pourtant spécialement aménagé pour eux. Cela résulte vraisemblablement de la longue période durant laquelle cette salle a été fermée, en raison de la pandémie de covid-19. Les idées ne manquent pas pour remettre cette pièce en activité et faire jouer les enfants, mais la communication est très limitée (la majorité ne parlent pas un mot de français) et trouver des jeux simples et accessibles à tous les malades n’est finalement pas si simple… Le nutritionniste devrait nous aider à faire danser les enfants qui le peuvent d’ici les prochains jours, et essayer de divertir les autres. En outre nous devrions bientôt recevoir des pots de peinture, avec lesquels nous avons pour projet de faire peindre les enfants dans le couloir du service de pédiatrie. Toutes leurs créations seront, on l’espère, une façon d’égayer un peu leur quotidien.
Entre-autres activités, Tiphaine aide à la préparation des mélanges de lait, sucre, farine, huile… pour les repas que les cuisinières de l’hôpital préparent pour les malnutris et malades dans le besoin. La malnutrition sévère aigüe qui touche surtout les petits enfants, est un fléau aux origines économiques. La région de Kabinda connaît un grave sous-développement économique qui génère des grandes pauvretés. L’histoire qui suit en témoigne.
« Récemment, témoigne Tiphaine, nous avons donné trois robes à une maman pour sa petite fille de 3 ans, hospitalisée en pédiatrie pour malnutrition aigüe sévère. Les enfants malnutris sont bien souvent très tristes et difficiles à faire sourire, mais cette fois la petite riait en quittant ses haillons pleins de trous, d’urine et de terre pour enfiler sa nouvelle robe. Ça m’a bouleversé. Sa mère aussi, ne parlant pas français, laissait largement paraître sa joie en se balançant d’avant en arrière et en battant des mains pour nous remercier. C’est sans doute la scène la plus touchante que j’ai vécue depuis notre arrivée à Kabinda ! J’étais très émue de voir leur regard si intense, plein de reconnaissance.
Une semaine plus tard, Pierre aperçoit la même maman en allant au travail, avec sa fille, de nouveau vêtue du morceau de chiffon sale qui lui servait de robe. Etonné, il se renseigne auprès du nutritionniste. Celui-ci se met en colère contre la maman, et déchire le « vêtement » de la petite. Il nous explique ensuite que la maman avait soigneusement rangé les robes que nous lui avions donné pour sa fille, pour les ramener au village et les revendre. L’émotion et la joie de cette première scène ont fait place à la déception et aux interrogations. Nos yeux d’européens peinent à comprendre tout ce qu’il se passe ici… Car malheureusement ce genre d’évènement est loin d’être isolé. Nous essayons donc de ne plus chercher à tout comprendre, mais simplement de donner ce que nous pouvons, avec ce que nous sommes et ce que nous avons. »
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